Le secret du geste parfait

Dans les ateliers feutrés du Brassus de la Manufacture Blancpain, le tic tac des montres déjà dans leurs écrins bat la mesure. Les autres, celles en cours d’assemblage, ne font pas encore le bruit régulier des garde-temps. Certains composants et cadrans sont en train d’être délicatement manipulés par des mains artisanes comme celles de Marie-Laure Tarbouriech, maître graveuse chez Blancpain depuis 2005 et Meilleure Ouvrière de France, qui, l'œil rivé sur son binoculaire, manie avec précision son burin. Un travail de laborantin que l’on observe aussi dans les ateliers de pâtisseries des Maisons Relais & Châteaux. Les chefs pâtissiers – Brandon Dehan à Baumanière Hôtel & Spa, Clément Réauté à Fleur de Loire et Benoît Godillon à la Villa Grand Voile – finissent le dressage de leurs créations avec une longue pince effilée.

Perpétuer des savoir-faire de précision

Des métiers d’art de l’horlogerie à l’artisanat de la pâtisserie, la langue, commune, est celle de la minutie, de l’excellence et du geste maîtrisé, millimétré. Chez Blancpain, la collection Métiers d’Art incarne cet héritage : chaque création, unique, est imaginée d’après la demande du client et personnalisée jusqu’au moindre détail, notamment les thèmes décoratifs choisis — scènes asiatiques ou hindoues, motifs floraux et paysages, ou thématiques marines. Engagée dans la préservation de techniques séculaires, la maison de haute horlogerie perpétue dans son atelier dédié les arts de la gravure, de la peinture miniature sur émail et ceux plus méconnus du shakudō – un art traditionnel japonais qui transforme la teinte d’un alliage de cuivre et d’or –, ou du damasquinage – une technique du XVIème siècle qui consiste à introduire des fils d’or ou d’argent dans un espace préalablement évidé.

Dans les cuisines des restaurants Relais & Châteaux, au rythme des plats créés pour les convives, les chefs sont animés par la même envie de partager une excellence artistique, gustative et de transmettre les savoir-faire locaux. Brandon Dehan, nommé « Pâtissier de l’année 2020 » par le magazine Le Chef, orchestre les desserts de Baumanière Hôtel & Spa depuis 2016. Conscient du riche patrimoine hérité de ses prédécesseurs, il remet au goût du jour le Mille Feuille et la Crêpe Soufflée, qui ont marqué l’histoire de Baumanière. Il travaille les textures pour apporter toujours plus de mordant à ces classiques de la pâtisserie. Il surprend aussi en intégrant l’oignon dans l’un de ces desserts et en nommant sa partition Menu Légumes. Il confie : “Ce n'est pas vraiment un produit qui va m’inspirer, c’est surtout une réflexion, avec une profondeur, quelque chose, qui a la fin sera différent.”

Tenir l’équilibre

Les créations horlogères ou pâtissières cachent toutes deux des principes similaires d’équilibre visuel et gustatif, de tenue et texture de la matière. L’équilibre, Benoît Godillon a dû le trouver pour confectionner des pâtisseries qui intègrent des produits iodés pour la carte maritime du chef Christopher Coutanceau. À ses côtés depuis 2012, il a évidemment pris l’océan, mais aussi le terroir et les producteurs comme source d’inspiration. C’est ainsi que dans son dessert “ESTRAN” il invite la laitue de mer, la criste marine, la fleur de sel, l’huître, envoûtantes comme des sirènes et dialoguant sans naufrage avec des ingrédients plus attendus en pâtisserie. Une créativité au fil de l’eau qui lui a valu le prix Passion Dessert 2025 remis par le Guide Michelin.

Dans son atelier de gravure, Marie-Laure est soumise aux mêmes contraintes : trouver l’équilibre à plusieurs échelles. D’abord entre la demande du client et les contraintes techniques, puis entre la fermeté du geste et la fragilité de la matière, et ce au centième de millimètre près. Elle confie volontiers ce besoin d’être toujours calme tout en ayant recours à la force dans la maîtrise de l’outil. Cette combinaison paradoxale lui permet d’aller dans le détail. “La concentration joue un rôle essentiel. Chacun doit trouver sa propre méthode : à mes débuts, j’écoutais de la techno pour me mettre dans le rythme ; aujourd’hui je travaille dans le calme en m'isolant dans ma bulle. L’essentiel est de réussir à mettre de côté la partie rationnelle du cerveau pour laisser toute la place à la main et à l’artistique.”

Symbiose de la matière et de l’outil

À voir le chef pâtissier Clément Réauté déposer une tuile sur son dessert ou Marie-Laure esquisser un premier dessin, on pourrait croire que c’est simple. Pourtant derrière ces gestes, se cachent des années d’apprentissage, d’expériences et de connaissance de ce qui passe entre leurs mains : du choix de la matière à celui des outils. Clément Réauté raconte : “J’adore travailler les tuiles pour leur complexité et leur élégance. Il y a toute une maîtrise extrêmement fine et rigoureuse de la cuisson, de la forme et de la texture.” Le matériau utilisé par ces orfèvres est toujours noble : des différents types d’or, comme aime les travailler la maître graveuse Marie-Laure Tarbouriech, aux agrumes mûrs utilisés par Clément Réauté dans le dessert signature “Agrumes du Froid” qui lui a valu le titre de Champion de France du dessert en 2025. “L’objectif est de respecter la matière tout en la sublimant.”

Quant à ses outils, balances, pinces ou palette coudée, ils font écho aux pointes, pinceaux et binoculaire de la maître graveuse Marie-Laure Tarbouriech. “Avec un zoom x 40, je peux travailler avec précision. En début de carrière, ce n’est pas évident à manipuler, car à une telle échelle on perd complètement ses repères — il m’est même arrivé de ne plus « trouver » mes doigts,” explique Marie-Laure avant d'ajouter “Chaque artisan assemble ses outils selon ses besoins et les créations sur lesquelles il travaille. J’ai conservé ceux de mes études, mais également ceux de mon père et de mon grand-père. Certains d’entre eux portent une vraie dimension de transmission.”

Ce ballet du geste parfait, si pur et sans heurts, s’opère dans l’ombre des ateliers. Alors que les mains d’or qui chorégraphient ce spectacle travaillent derrière le rideau, leurs créations, de la gavotte parfaite au trait ciselé, prennent toute la lumière. Mais qu’elles soient une parenthèse gourmande et éphémère ou une pièce à contempler pour l’éternité, elles se rejoignent pour fixer le temps et partager la beauté de l’artisanat.